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Choukry BENMANSOUR
15 janvier 2012

Texte lu par Mr Raul Caplan lors du vernissage le 07/02/2012, "Alliance entre deux peuples" à l'espace culturel Louis Delgrès

 

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Fidèles à notre tradition d’ouvrir notre espace chaque année avec une exposition venue d’un « ailleurs » (voire d’un ici) différent de celui qui nous définit (les Outre-Mers au sens large) nous sommes heureux de recevoir aujourd’hui Choukry Benmansour.

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Cher Choukry Benmansour, soyez le bienvenu à l’Espace Culturel Louis Delgrès. Je ne vais pas détailler ici votre parcours, dont la sinuosité rappelle les lignes de certaines de vos toiles, et qui va de l’Algérie à Nantes, en passant par le Mexique et sûrement bien d’autres pays, car vous êtes de toute évidence un individu curieux (au bons sens du terme !).

 

 Vous avez choisi comme titre de votre exposition « Alliance entre deux mondes » et vous nous en expliquerez peut-être tout à l’heure le pourquoi.

 

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Pour ma part, il mesemble que la plus grande richesse de votre travail est de nous montrer qu’il n’y a pas deux mondes mais un seul. Au-delà des clivages économiques et culturels qui partagent notre planète (en pays développés et sous-développés ; ou en Nord/Sud ; ou encore comme on disait à l’époque de Frantz Fanon : en Premier et Tiers-monde) ; au-delà de ces clivages, donc, vous nous montrez de façon éclatante qu’il n’y a qu’un monde, une humanité, un Univers (uni et divers à la fois).

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Ce monde-un ou Tout-monde, pour reprendre les mots d’Edouard Glissant, vous l’avez exploré d’abord grâce aux mathématiques, qui est votre métier premier. Par là, vous vous insérez tout naturellement dans une culture multiséculaire faite de transmission et des correspondances : car l’histoire des mathématiques est peut-être celle qui relie le mieux notre Humanité : on connaît l’apport des Arabes au développement des mathématiques, aussi bien en faisant le lien entre l’Inde et l’Europe, qu’en sauvegardant le patrimoine scientifique grec pendant le Moyen Age, et enfin à travers de nombreux progrès et inventions comme l’algèbre. Il faut citer également la géométrie, car elle tisse un lien évident entre la science, l’art et le sacré, comme en témoigne l’art islamique  en Afrique du Nord mais aussi sur notre continent, à Grenada ou à Cordoue, dans cette péninsule ibérique qui connut pendant quelques siècles une expérience rare de vie en commun entre Juifs, Chrétiens et Musulmans.

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Cette triade (science-art-sacré) me paraît essentiel pour comprendre votre démarche. J’ai appris que vous êtes arrivé à l’art à partir de l’observation d’une toute petite pierre de moins de deux centimètres, qui a été la source de votre big-bang créatif. Cette pierre a fonctionné comme matrice (qui dit « matrice » dit « mater », « mère », engendrement) de votre créativité, et comme support aussi par moments. Le minerai renferme un mystère fait de matière, de textures, de couleurs. Dans votre rapport avec la pierre je vois comme un écho de la méditation du protagoniste du Siècle des Lumières d’Alejo Carpentier, qui passait des heures à contempler un coquillage, sa spirale parfaite, et qui y voyait une sorte de lien secret entre microcosme et macrocosme.

 

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L’homme a réussi à voyager dans l’espace, a laissé son empreinte sur la lune, ce petit caillou sidéral qui tourne autour de nous. Il a réussi à explorer l’infiniment petit, le microscopique et maintenant la nanométrique. Votre petit caillou à vous contient lui aussi le grain de sable et le morceau de planète, l’infiniment petit et l’infiniment grand, et on comprend qu’il ait pu déclencher chez vous cette vocation d’artiste.

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Mais cette vocation prend ses racines aussi dans votre histoire personnelle, à travers le figure de votre père, Abdallah Benmansour, peintre lui aussi et qui vous a sans doute transmis son amour de l’art.

 Votre peinture puise son inspiration dans la Nature, en témoignent les titres de vos travaux qui renvoient aux espaces terrestres (Marécages, Sahara) ou marins (Corail, Fonds marins), au monde végétal (Le Verger, Orchidées, Les fuchsias, Les feuilles mortes), aux paysages (Un matin de brume, Sieste pastorale), voire aux forces telluriques (Eruption volcanique).  Cette Nature de toute évidence vous a fasciné dès votre enfance (je vous cite) :

« Quand j’étais un petit enfant (…) j’aimais mes excursions dans des jardins naturels, où on entend la voix du Grand Esprit dans le chant des oiseaux, dans le ruissellement de puissants cours d’eaux et dans l’odeur agréable des fleurs. C’est au travers de ces lieux offerts par la terre que l’homme peut trouver la paix et l’harmonie ».

 C’est là votre jardin d’Eden à vous, un lieu de retrouvailles avec vous-même et avec le cosmos, espace-temps de recueillement où vous devenez un observateur « naïf » qui retrouve les choses primordiales (« une pierre, un arbre, une feuille, le vent, toutes les couleurs… »). Mais de cette observation solitaire du monde nous revient par la suite votre « Perception subjective », qui me rappelle la maxime de Juan de Mairena, un des hétéronymes du grandpoète espagnol Antonio Machado : « a la ética por la estética » (« on arrive à l’éthique par l’esthétique ») ; c’est-à-dire que la recherche du bon(heur) passe par la recherche du beau.

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Avant de vous donner la parole, il faut rappeler que cette exposition est aussi un hommage à Frantz Fanon (1925-1961), qui a été au centre de nombreuses activités dans l’année qui vient de s’écouler à l’occasion du cinquantenaire de sa mort. Martiniquais et Algérien, combattant de la Libération, puis militant pour l’indépendance de l’Algérie, Fanon a toujours vécu dans l’engagement : il s’est battu pour la décolonisation sur le plan politique, bien sur, mais aussi pour la décolonisation des esprits, un combat oh combien difficile contre tous ces traumatismes et préjugés ancrés dans la conscience et l’inconscient des colonisés ; ce combat contre l’aliénation il l’a mené en tant que psychiatre, en tant qu’essayiste, en tant qu’homme tout court.

 Dans le conte du Graal, la mère de Perceval conseille à son fils de toujours demander le nom à ses compagnons de route, car « C’est par le nom que l’on connaît l’homme ». Or, je note que le mot « Fanon » désigne en français une « pièce d’étoffe suspendue et déployée au bout d’une lance (…) pour servir de signe de ralliement ». De l’étoffe qui sert comme drapeau et signe de ralliement guerrier à la toile qui sert comme signe de ralliement tout court il n’y a qu’un pas…

 J’ajoute que votre prénom « Choukry », signifie en arabe « de nature reconnaissante ». Mais aujourd’hui c’est à nous de vous dire « choukrane », ou « gracias », ou « Tlazocamati » (en nahuatl, la langue des anciens Aztèques du Mexique) ou simplement « Merci ».

 

Raúl Caplán

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